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Depuis le 1er décembre 2022, l’Inde assure la présidence du G20, ce forum intergouvernemental composé de dix-neuf des pays aux économies les plus développées et de l’Union européenne qui vise à favoriser la concertation internationale.

Dans le cadre de travaux préparatoires du sommet des dirigeants qui devrait se tenir du 9 au 10 septembre 2023 à New Delhi, les délégations étrangères ont dû participer à une visite imposée de la cellule de prison transformée en mémorial de Vinayak Damodar Savarkar, une icône des nationalistes hindous emprisonnée par les Britanniques.

Le premier ministre Narendra Modi prie devant un portrait de Vinayak Damodar Savarkar, au Parlement indien à New Delhi, le 1er juin 2014. WIKIMEDIA COMMONS

Ce nom ne vous dit rien ? C’est normal ! Et c’est bien tout l’objectif du gouvernement indien que de remédier à ce qu’il considère comme une vision tronquée de l’histoire.

Lors de sa captivité au pénitencier de Port Blair, Vinayak Damodar Savarkar a écrit Essentials of Hindutva, un ouvrage considéré comme fondamental par l’extrême droite indienne. Il est d’ailleurs considéré comme le concepteur de l’« hindouité », définie par l’une des spécialistes, l’historienne Audrey Truschke, comme « une idéologie fasciste qui prône la suprématie de l’hindou, notamment sur les musulmans » et dont « l’objectif primordial est de transformer l’Inde d’un Etat laïque en un Etat ethnonationaliste, surnommé le “Rashtra hindou” (nation hindoue) ». Comme le rappelle Audrey Truschke, « V. D. Savarkar parlait de l’Inde comme de la patrie et partageait avec les nazis une préoccupation pour la pureté des lignées sanguines. Savarkar et d’autres ont trouvé que le traitement des juifs par Hitler était un modèle utile pour la façon de traiter la minorité musulmane de l’Inde ».

Le message envoyé aux délégations étrangères par Amitabh Kant, chargé d’organiser le G20, était clair :  « Nous avons commencé notre voyage depuis les Andaman parce qu’il y a des combattants méconnus qui ont été emprisonnés dans ce pénitencier. Il est important que cette histoire soit relatée à tous les étrangers et ambassadeurs ainsi qu’aux grandes organisations internationales et à tous les invités ».

En somme, l’Inde de Modi entend profiter du G20 comme d’autres profitent de la Coupe du Monde de football ou bien des Jeux Olympiques, à savoir faire passer un message au monde, et en l’occurrence dans ce cas, proposer une autre vision de l’histoire que celle développée par les Occidentaux.

La plupart des historiens ayant travaillé sur les sources liées à cet homme considèrent en effet que son rôle dans la lutte pour l’indépendance de l’Inde est ambigu. Bien qu’il ait traversé dans sa jeunesse une période révolutionnaire en s’opposant aux Britanniques, ce qui lui valut d’être emprisonné, il aurait joué un rôle marginal dans le départ des colons, envoyant même aux autorités britanniques plusieurs recours en grâce dans lesquelles il désavouait tout désir d’indépendance de l’Inde.

Selon l’historien Christophe Jaffrelot, spécialiste de l’Inde, le principal combat de Savarkar n’était pas l’indépendance, mais la lutte contre les musulmans : « En 1941, sa principale devise était “hindouiser toute la politique et militariser l’hindouisme”, ce qui impliquait une certaine collaboration avec les Britanniques. Le gouvernement du Raj recrute des soldats indiens dans l’armée britannique et pour Savarkar, c’est une “occasion unique de faire avancer le mouvement de militarisation de notre race hindoue”. »

A priori, aucun membre des délégations étrangères n’a contesté cette visite qui relève clairement de l’instrumentalisation de l’histoire. Après des semaines de débats sur la tribune donnée au Qatar à l’occasion de la Coupe du Monde, il semblerait donc qu’aucune leçon n’ait été tirée et que l’on continue à laisser les pays hôtes des événements internationaux développer leurs récits sans en discuter ni la validité scientifique, ni le message idéologique et ses conséquences discriminatoires.


Source

Sophie LANDRIN, « En Inde, un « briefing diplomatique » qui passe par la case prison« , in LeMonde.fr, 21 décembre 2022.