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Alexandre Jardin, Collaborationnisme, Ferdinand von Schirach, lecture historique, Les mémoires, Mémoires
Dans le chapitre de Terminale sur les mémoires de la Seconde Guerre mondiale, j’évoque systématiquement le cas particulier de la mémoire familiale des descendants d’anciens nazis et collaborationnistes qui est longtemps restée confinée dans un coffre bien hermétique au fond des caves et greniers. Et pourtant, à l’instar des mémoires de la Résistance et de la Déportation, cette transmission connait elle aussi ses soubresauts et ses spectres qui frappent du fond de leurs armoires pour se rappeler au souvenir des vivants et finissent souvent par percer les cloisons vermoulues qui les séparent de leurs descendants.
Dans le contexte français, l’exemple de la famille Jardin a defrayé la chronique en 2011. Le romancier et petit-fils Alexandre avait en effet choisi de raconter dans un livre son cheminement mémoriel le conduisant jusqu’aux traces de son grand-père, Jean Jardin, directeur du cabinet de Pierre Laval d’avril 1943 à octobre 1943 et donc en responsabilité lors de la rafle du Vél d’Hiv en juillet 1942.
Quelques années plus tard, un article du journal Le Monde nous propose d’élargir la réflexion et d’oser la comparaison à partir de la vie et l’oeuvre de Ferdinand von Schirach, petit-fils de Baldur von Schirach, chef des Jeunesses hitlériennes sous le Troisième Reich. Une piste intéressante notamment pour nourrir vos accroches et ouvertures de compositions…
Extraits :
« La carrière littéraire fulgurante, quoique tardive, de l’avocat allemand Ferdinand von Schirach, compensera-t-elle la tristesse d’un patronyme pour toujours associé au nazisme et à son grand-père, le « Führer de la jeunesse », Baldur von Schirach (1907-1974), responsable de la déportation des juifs de Vienne ? Impossible d’éviter la question. Ferdinand von Schirach l’aborde avec lucidité mais non sans réticence. Avec un tel nom, la dérobade est, de toute manière, improbable. On n’est pas, dit-il, dans la situation où l’on tombe par hasard sur la carte de la SS appartenant à l’aïeul, tapie au fond d’une vieille armoire.
Ce nom, qui pèse comme une ombre, le cousin de Ferdinand von Schirach, Benedict Wells, a choisi, en devenant également écrivain, de le changer officiellement pour n’avoir plus à s’en sentir comptable. Ferdinand approuve la démarche de son jeune parent mais pense autrement. « Je ne suis pas coupable des crimes commis par mon grand-père, dit-il, mais je porte une responsabilité associée à ce nom, qui consiste à faire en sorte que ces crimes ne se reproduisent plus. Prendre cette responsabilité au sérieux représente une grande partie de ma vie. Tout ce que j’écris en participe un peu. »
Il l’assume à travers des actions concrètes. Récemment encore, en finançant de ses deniers une étude de traçabilité portant sur les œuvres d’art spoliées par les nazis. Tel est aussi le ressort de son œuvre littéraire, qui tourne autour du triptyque crime-culpabilité-sanction. « Il y a une continuité entre mes livres, confie-t-il. Crimes et Coupables [Gallimard, 2012 et 2014] sont relativement semblables. Le nouveau, Sanction, se veut plus psychologique. Je veux montrer que nous passons notre vie à pardonner à tous, à notre partenaire, nos enfants… mais pas à nous-mêmes. Nous nous jugeons impardonnables. »
Homme policé, qui pratique le baisemain sans affectation quand il rencontre des femmes, Ferdinand von Schirach a connu une enfance typique de l’aristocratie allemande – « la plus ennuyeuse d’Europe », plaisante-t-il dans une interview accordée à l’hebdomadaire Die Zeit. Pour lui, il s’agit d’un univers qui fleurait le XIXe siècle, ou le début du XXe, jusque dans les années 1970 et 1980, encore rythmé par les chasses et les séjours dans des internats cotés.
Mais cette Bildung-là, cette « formation », dont il s’est ouvert dans son dernier ouvrage, Kaffee und Zigaretten (« Café et cigarettes », 2019, non traduit), fut surtout pour lui marquée par l’angoisse, la solitude et une tentative de suicide à l’âge de 15 ans. On ne décèle pas chez lui le moindre indice de nostalgie pour ce monde perdu. Ses affinités artistiques sont d’ailleurs des plus modernes (le cinéaste autrichien Michael Haneke ou le plasticien allemand Anselm Kiefer).
Ferdinand von Schirach
Référence
Nicolas WEILL, « Ferdinand von Schirach : « Le lien du droit et de la littérature est évident » », in Le Monde, 9 mars 2020.
Chapitre révisé
- Les mémoires, lecture historique (Histoire – Terminale)