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Cet article de Béatrice MADELINE a été publié dans le journal Le Monde (rubrique « Campus ») le 12 novembre 2017. 

Il vous permet de faire la connaissance de Marina, Maxime, Calliste… qui sont autant d’étudiants qui ont suivi un cursus d’excellence sur les conseils de leurs parents, ou bien « parce que c’est la voie que suivent les bons élèves ». Ils se sont finalement aperçu un peu tardivement que ces formations, et les trajectoires professionnelles qu’elles leur ouvraient, ne correspondaient pas vraiment à leurs valeurs et aspirations personnelles. 

D’où l’importance que vous devez accorder à votre projet d’orientation, de la Seconde à la Terminale, avec vos parents, vos professeurs, vos amis, etc. 


Illustration de Boris Séméniako pour Le Monde

« J’avais de très bons résultats à l’école, j’ai fait ce que ma ­famille m’a conseillé de faire, et je me suis retrouvée à ­l’Edhec »,résume Marina Kirszenberg. « J’avais choisi les classes préparatoires parce que c’est la voie que suivent les bons élèves », dit Calliste Scheibling-Sève, ­diplômée d’HEC. « Une fois en prépa, autant avoir la meilleure école possible », note Maxime Braud, HEC également. Tous trois ont pourtant choisi une autre orientation professionnelle. Marina est aujourd’hui développeure, Calliste prépare un doctorat en psychologie cognitive, et Maxime, entre autres choses, a créé sa chaîne YouTube consacrée au rap français, et s’occupe d’une communauté de travailleurs indépendants, Mangrove.

Prise de conscience

Ils seraient arrivés à l’Edhec ou HEC « un peu par hasard » ? Une provocation sans doute pour les milliers d’élèves de prépa pour lesquels ces établissements représentent l’aboutissement d’un travail acharné. Pour d’autres, le passage par une grande école est simplement la suite logique d’un parcours d’excellence… qui peut mener à une certaine désillusion.

Selon les chiffres communiqués par HEC, plus de la moitié de ses diplômés de 2016 se sont bien orientés vers les ­secteurs très prisés de la finance ou du conseil, mais deux sur dix ont choisi une orientation « atypique » après l’école. Ainsi, 4 % se sont tournés vers les métiers du luxe, 4 % vers les médias, l’art et la culture, et 12 % vers d’autres secteurs d’activité sans lien direct avec leur formation. Parmi ceux que Le Monde a ­interrogés, une phrase revient : « On arrive dans une grande école et on ne sait pas ce que l’on veut faire », comme l’affirme Emre Sari, aujourd’hui journaliste, seul de sa promo à avoir fait le double ­diplôme HEC-CFJ (Centre de formation des journalistes). Et d’ajouter : « De toute façon, en prépa, il n’y a aucune réflexion sur notre future vie professionnelle. »

Pour ces étudiants qui ne nourrissent pas de projet précis, les stages longs sont souvent l’occasion d’une prise de conscience radicale – de ce qu’ils ne veulent pas faire. « J’ai fait de l’audit dans un grand cabinet et du contrôle de gestion dans une entreprise de taille moyenne, explique ­Marina Kirszenberg. Dans les deux cas, je me suis un peu ennuyée. Je me suis rendu compte que je partais pour avoir la même vie que mes parents, qui sont tous deux cadres, et cela ne me faisait pas du tout ­rêver. »

Après un stage dans un fonds d’investissement, Anne-Clémence Le Noan a ressenti le besoin « d’avoir une vraie proximité avec [ses] valeurs ». Elle est aujourd’hui professeure de lettres classiques dans un collège de Bobigny dans le cadre du projet Teach for France (rebaptisé Le choix de l’école). Ariane ­Mohlseni, elle, a « tout lâché », entre autres son poste à la Deutsche Bank à Londres, où elle « ne se sentait pas épanouie », pour mener un projet de documentaire sur les sans-abri et l’amour. Et elle a intégré une formation de documentariste proposée par l’Ecole des chartes et l’INA, sous la houlette de l’ENS-Cachan.

Connaissance de soi

Suivre ses goûts personnels et ses ­valeurs au détriment d’une carrière plus lucrative ? S’il est encouragé dans certaines écoles, ce choix doit encore convaincre parents et amis. Bénédicte Faivre-Tavignot, créatrice du master ­Développement durable à HEC, se souvient de cet élève « qui a sans doute étouffé son aspiration à quelque chose qui ait du sens » quand il a effectué son stage de troisième année en finance. « Ça s’est très mal passé, raconte-t-elle. En France, on éduque peu à la connaissance de soi. »

Pour des étudiants « dopés » intellectuellement après deux ou trois ans de classes préparatoires, les cours en business schools peuvent provoquer une réelle déception. Calliste évoque un souvenir cuisant : « En cours d’innovation, le prof nous demande : “Qu’est-ce que l’innovation ?” Pendant que je me creuse la tête pour retrouver ce que j’ai appris sur Schumpeter, un étudiant lance : “C’est une nouvelle idée !” Et le prof répond : “Très bien !” Que voulez-vous ajouter à cela… »

Maxime comme Marina auraient aimé recevoir, en plus des cours de compta­bilité, de droit ou de finance, un enseignement plus poussé sur les nouvelles technologies, le code ou le design. Finalement, tous deux ont suivi une formation de type « bootcamp » (camp d’entraînement militaire) à la sortie de l’école pour ­apprendre à coder. D’une manière générale, les cours ne sont pas ce qu’ils retiendront de leur scolarité. « On apprend des choses dont on ne voit pas l’application ­immédiate », regrette Ariane, quand Maxime déplore que « certains professeurs se contentent de lire des slides ».

Le challenge et la « marque »

Pour autant, aucun de ces étudiants n’a de regrets. « Une fois à l’école, c’est à toi de construire ce que tu veux être, car les possibilités sont infinies », insiste Calliste Scheibling-Sève. Marina Kirszenberg se montre plus pragmatique : « A l’Edhec, j’ai ­appris trois choses : comment me faire un réseau ? Comment me vendre, moi ? Et où trouver de l’argent ? » Pour Maxime Braud, venu de Valence, « HEC m’a permis de changer de milieu, de me créer un réseau à Paris, de découvrir l’écosystème français ».

Deux dimensions restent très fortes : le challenge personnel et la « marque » que constitue une grande école. « Mon père est arrivé d’Iran à 16 ans. Deux ans plus tard, il intégrait l’Ecole des mines… Je faisais l’objet de grosses attentes parentales, il fallait être à la hauteur, se rappelle Ariane Mohlseni. En intégrant HEC, j’ai prouvé quelque chose. » Anne-Clémence Le Noan affirme que l’école lui a « appris à avoir de l’ambition ». Et quel que soit leur futur parcours, le diplôme représente un filet de sécurité. Emre Sari résume : « Avoir fait HEC, cela donne quand même une espèce d’aura. »