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brutalisation, ensauvagement, George L. MOsse, histoire, Peaky Blinders, Première Guerre mondiale, Séries, Trivialisation

Si vous n’avez pas encore eu l’occasion de regarder la série Peaky Blinders, je vous invite fortement à réparer cette erreur. Cette série est un petit bijou pour comprendre les conséquences de la Première Guerre mondiale sur les sociétés européennes.
Déclinée en six saisons (soit 36 épisodes), cette production audiovisuelle de Steven Knight raconte l’histoire de Thomas Shelby, soldat pendant la Première Guerre mondiale, qui rentre à Birmingham en Angleterre et s’impose à la tête d’un gang qui n’hésite pas à utiliser la violence pour s’enrichir et s’octroyer toujours plus de pouvoir.
Le choix audacieux des scénaristes consiste à ne pas considérer la mémoire de la Première Guerre mondiale comme un simple élément de contexte, mais comme un véritable personnage récurrent capable d’influencer le cours des événements. L’historien George L. Mosse parle à ce propos d’un processus de trivialisation (c’est-à-dire de banalisation) de la guerre qui transforme la brutalité des batailles sanglantes en un mythe de l’expérience combattante. Des obus sont alors utilisés comme presse-papiers et des croix de fer font leur apparition comme motif décoratif sur toute une série d’objets du quotidien comme les cartes postales et même les jouets d’enfants.
Outre la trivialisation de la violence de guerre, George L. Mosse évoque également une forme de naturalisation de la mort et de sanctification des soldats qui auraient contribué à l’acceptation des sacrifices de la population durant les années de combat. Ces différents éléments auraient contribué à l’émergence d’une brutalisation, voire d’un ensauvagement des sociétés européennes à l’issue de la Première Guerre mondiale. Selon lui, la violence du conflit et la virilité agressive forgée au plus profond des tranchées seraient des éléments explicatifs du durcissement de la vie politique dans les années 1920 et 1930, mais aussi probablement l’une des causes de l’émergence des régimes totalitaires fasciste en Italie et nazi en Allemagne. La nostalgie de la camaraderie de sang tissée par les soldats dans le contexte d’une mort imminente entre 1914 et 1918 expliquerait ainsi que des dizaines de milliers d’entre-eux se soient ensuite inscrits dans des réseaux d’anciens combattants, et que quelques-uns se soient mêmes engagés dans des milices paramilitaires telles que les Freikorps puis les sections d’assaut (SA) en Allemagne, mais aussi les “chemises noires” en Italie.